Leo est une lambda dans l'âme. Son but dans la vie est de passer inaperçue. Ce qu'elle a vécu l'a vraiment changée et elle n'aspire qu'à une vie tranquille, loin des beuveries et des scandales des autres confréries. Elle souhaitait malgré tout s'inscrire dans l'une d'elles, pour mieux s'intégrer et paraître un minimum sociale. La jeune femme sait bien que les autres la considèrent sans doute comme une freak, mais elle s'en moque. Elle préfère largement cela, tant qu'ils lui fichent la paix. Leo déteste être sous les feux des projecteurs. Elle n'est pas timide ; elle prend volontiers la parole en classe ou devant une assemblée. Elle ne veut simplement pas que l'on s'intéresse à elle. Tandis que les autres membres de la confrérie -majoritairement hommes- sont ici par dépit, ou parce que c'était leur deuxième choix, Leo est ici par choix. Elle se plaît dans cette confrérie sans soucis, où tous les membres sont sympathiques et respectueux. Des gens sérieux, parfois un brin nerd ou geek, mais fort sérieux. La plupart —mêmes étudiants d'autres confréries— de voir une femme de cette prestance traîner avec eux. Mais elle les aime beaucoup et se fiche totalement d'être populaire ou aimer. Il lui suffit d'avoir quelques amis fidèles et avec qui elle s'entend bien, une chambre, un ordinateur pour se sentir bien.  

« come as you are, as you were, as i want you to be »

Quand vous essayez de vous rappeler des souvenirs d'enfance, vous n'avez jamais remarquer que ceux-ci paraissent toujours flous et extraordinaires ? Vous vous rappelez de cette émission qui était si drôle, de ce parc d'attraction qui était si effrayant, de cette personne qui était si belle et grande. Et puis, devenue adulte, vous regardez cette émission qui n'est plus drôle, ce parc d'attraction qui n'est pas plus effrayant qu'un télétubbies, et de cette personne décharnée qui a une tête de moins que vous. L'enfance, c'est le pays des merveilles. On s'extasie devant tout. On est heureux. Nous croisons la voisine avec son labrador, nous jouons avec et nous sommes heureux. Nous allons au lit et nous endormons rapidement, sans avoir peur de ne pas trouver le sommeil. Nous n'appréhendions rien, à cette douce époque. Nous vivions l'instant présent sans rien regretter et sans avoir peur d'autre chose que du croquemitaine. Nous croyions à des mythes ou à une religion avec ferveur, sans se questionner sur son existence. Au fond, c'était ça le bonheur. Un constant émerveillement, un pardon qui se donnait rapidement (« on fait la paix ? »), une sublime simplicité d'esprit. Nous étions d'heureux idiots. Pourquoi a-t-il fallu que nous devenions lucides et intelligents ? Ces deux-là vont toujours de paire avec le malheur.

Leo était une petite fille comme les autres. Elle allait à l'école, jouait avec ses copines, collait des gomettes en riant et rentrait chez elle accompagnée de son père, Charles. Il tenait dans sa large paume la pâle main de sa fille. Les cheveux bruns de l'enfant étaient séparés en deux courtes tresses, et elle récitait la dernière comptine qu'elle avait apprise. Puis, parfois, elle lâchait la main de son géniteur et courait ou sautillait gaiement devant lui. Leo revenait toujours vers lui. Charles souriait, d'une sourire triste mais sincère, ébloui par tant de bonheur. Adultes, nous sommes tous à la poursuite de ce foutu bonheur. Charles, comme tant d'autres, le cherchait. Il l'entrevoyait quelques fois, tendait la main pour le saisir et il lui semblait qu'il s'envolait. Malheureusement, les problèmes lui accrochaient l'autre main et le faisaient retomber sur terre. Le divorce avec Joana, sa femme, la mère de Leo, son travail, divers petits tracas quotidiens. Lui qui cherchait ce bonheur avec tant de ferveur et d'ardeur ne parvenait pas à l'atteindre, tandis que ce petit bout d'être l'avait trouvé et semblait s'agripper à lui. Leo était toujours joyeuse. Leo était toujours gaie. Souriante, malgré ses quenottes manquantes, souriante malgré le départ de sa maman, souriante malgré les dessins qu'elle n'avait pas réussi à colorier sans déborder. Chacun ses soucis. Mais Leo ne s'en souciait pas ; enfin, si, elle racontait toujours à son père ses problèmes de la journée : la dispute avec sa copine Maggie (qui s'était terminée l'après-midi même), la maîtresse qui l'avait punie parce qu'elle bavardait, ou bien ce méchant William qui lui avait piqué son doudou. Mais tout cela ne tâchait pas sa lumineuse et éternelle joie. Comment faisait-elle ? Charles se le demande encore. Il lui semblait qu'il n'avait jamais vu enfant plus épanouie que Leo.

Elle était unique. Elle était venue au monde comme cela, avec un sourire aux lèvres, un sourire qui semblait s'attarder éternellement sur ce joli minois.

Charles adorait sa fille. C'était grâce à elle qu'il entrevoyait parfois le bonheur, entre deux nuages. Il ne pourrait jamais s'en passer. Et pourtant, peut-être qu'elle lui serait enlevée. Il avait fait des erreurs dans sa vie, beaucoup d'erreurs, des plus ou moins grosses avec plus ou moins de conséquences. Il les regrettait toutes, et pourtant, il allait encore devoir payer le prix de l'une d'entre elles. Quand il pensait aux éventuelles issues de  ce maudit procès, il tremblait et regrettait encore plus fort. Au fond, la vie du trentenaire ne se résumait plus qu'à ça : regretter et regarder sans cesse derrière soi. Comment pouvait-il aller de l'avant et penser à l'avenir ? Si, bien sûr, il y avait un avenir. Il doutait de tout désormais, jusqu'au fondement de sa vie. Charles était dans un pétrin monumental, duquel personne ne pouvait le sortir, excepté le temps. Mais celui-ci passait bien lentement. Joana l'y avait mis et veillait à ce qu'il y reste. Il lui avait pourtant dit qu'il regrettait sincèrement d'avoir été trop loin ce soir-là,il était saoul c'est vrai, mais il m'avait aucunement l'intention de la frapper comme cela, d'être violent. Ô, Joana ! Douce femme pour qui l'homme aurait tout donné, douce femme qu'il avait tant aimée. Et voilà que maintenant, le seul endroit où ils se voyaient était le tribunal. Mais où étaient passées les promesses, les mots d'amour, les soupirs amoureux, les baisers échangés et les voeux d'éternités ?

Pourtant il y avait Leo, qui brillait de l'amour dans lequel elle était née. Cet amour n'existait plus et s'était transformé en haine farouche, et Charles se demandait si cela se passerait ainsi pour Leo. Si elle aussi cesserait d'être joyeuse un jour, si son sourire disparaissait et que tout cet amour dont elle débordait se viderait peu à peu, comme une rose qui fane.





« his eyes upon your face, his hand upon your hand, his lips caress your skin »

Cette sensation adolescente de ne plus avoir de contrôle sur rien. On ne se contrôle plus, on ne sait plus combien de fois nous avons porté une cigarette à nos lèvres, on n'écoute plus les autres, on les entend simplement. Ce sentiment de passivité intense, celle d'être le simple spectateur de la fresque de la vie. Leo se sentait mal. Elle ne parvenait plus à sortir de son esprit toutes ces mauvaises choses. Elle pensait, repensait, tournait dans sa jolie tête brune des ressentis complexes et leur cherchaient une explication. Elle ne pouvait plus sortir de cette torpeur quotidienne. Leo allait au lycée, elle sortait avec ses amis, elle riait même : mais elle n'était pas là. Elle faisait tout cela, et elle le faisait bien ; parfois il lui arrivait de se distraire réellement, et une fois seule, les pensées la reprenaient. Et l'adolescente était épuisée, épuisée d'être si malheureuse. Elle ne désirait qu'une seule chose : dormir et ne plus jamais s'éveiller, ne plus jamais ouvrir les yeux sur ce monde pourri. Elle n'en pouvait plus de voir la misère et le malheur humain. Depuis quand les gens étaient si tristes ? Depuis quand croisait-on tant de SDF dans la rue ? Quand était-elle devenue si fragile ? Où était passer le temps où elle s'endormait le sourire aux lèvres ?
Et puis parfois, c'était comme si elle se réjouissait de ce lâcher-prise. Elle se disait "basta" et envoyer tout valser avec une certaine émotion. Parfois, oui, elle devait l'admettre, ça lui plaisait de faire n'importe quoi, d'aller voir ce gars-là sans trop penser aux conséquences, sans penser à Ewan, son copain. Elle finissait la bouteille de vodka sans penser à l'horrible soirée qu'elle allait passer la tête dans les WC.
Mais la plupart du temps, Leo se giflait intérieurement de tant de sottises. L'adolescente se disait : "Pourquoi t'as été voir ce gars hier ? Quel était ton but ? Le trouvais-tu intéressant ? Non, bien sur que non. Tu ne le connais pas. Tandis qu'Ewan, tu le connais, Ewan tu l'aimes. Est-ce que tu l'aimes vraiment, Ewan ? Oui, bien sûr que oui, c'est plus que sérieux entre vous. Alors pourquoi l'as-tu trahi, dans ce cas ? Ce n'est pas la première fois ". Et Leo se désespérait encore une fois.

Avant de se coucher, Leo s'adossait contre le mur, assise sur son lit défait. Elle se mettait en sous-vêtements et fumait une dernière cigarette. Elle se disait que cette cigarette de fin de journée servait à l'apaiser. En inhalant la fumée, elle songeait à un problème, à quelque chose qui la tracassait. Elle pensait à lui pendant un instant, puis exhalait la fumée, signifiant que le problème était sorti d'elle. C'était sa purge. Cependant, elle devait avouer que cela marchait pour ses quelques petits soucis quotidiens (disputes avec des amies) mais pas pour ses grandes questions existentielles, celles-là qu'elle ressassait sans cesse en elle-même, à tout moment de la journée. Ce rituel n'effaçait pas ces choses qui l'avaient façonnées, ces choses dont elle se disait : "mais pourquoi me sont-elles arrivées à moi ? Dans quelles circonstances ? N'y avait-il pas autre chose ?" En général, Leo se demandait qui et où était son père. Parfois, elle s'imaginait que c'était un homme politique ou une célébrité importante, qui avait eu une brève liaison passionnée avec Joana, sa mère, mais qui avait dû l'abandonner pour préserver sa carrière importante. Elle s'imaginait des adieux déchirants et larmoyants entre sa mère et lui, et elle se voyait lui dire "tu reviens bientôt, papa ?", et lui de répondre "je serais toujours avec toi, ma chérie, dans ton coeur" avec les larmes aux yeux et une musique tragique en fond. Leo était maintenant assez mature pour savoir que rien ne s'était passé comme cela. Sa mère n'avait jamais rien voulu lui dire sur la question et prétendait ignorer elle-même ce qu'était devenu son ex-mari. Quand la brune posait à sa mère une question sur son père, elle répondait : "Tu n'as pas de père, tu n'as qu'un géniteur". En tout et pour tout, l'adolescente savait seulement que son paternel s'appelait Charles Frobisher. Elle ne savait pas pourquoi elle avait été brutalement séparée de lui alors qu'elle n'avait que cinq ans. Au fil des ans, elle avait oublié sa voix, son odeur, son visage. Elle se souvenait qu'elle l'aimait, qu'elle l'adorait, qu'elle l'idolâtrait. Il était gentil avec elle. Et elle était persuadée que ses parents s'étaient aimés, qu'ils avaient eux aussi échangés des baisers passionnées, quel que fut la profession de Charles. Pourquoi cet amour s'était transformé en haine, comme dans tant d'autres couples ? L'amour qui flétrit devient-il toujours de la haine ? Peut-il se recycler ? Allait-elle se mettre à détester Ewan ? Elle ne cessait de penser à tout cela. Et, terrifiée de ne plus être capable d'aimer un jour, Leo repartait voir les autres garçons, pour se persuader qu'elle pouvait encore leur donner un peu d'amour. Coucher avec tous ces garçons, c'était pour se rassurer. Mais il n'y avait qu'Ewan pour elle.

Malheureusement, la vérité finit toujours par éclater. Ewan apprit que Leo n'hésitait pas à aller voir ailleurs quand ça lui chantait, et mit brutalement fin à leur relation. Leo était paniquée. Elle n'essaya même pas de lui expliquer qu'elle avait peur, et que c'était simplement un moyen de se rassurer qui lui permettait ensuite de mieux lui donner. Elle savait que ça ne tenait pas aux yeux du monde. Cela semblait uniquement valable pour elle. Était-elle si différente ? Leo avait mal et était effrayée. Qu'est-ce qu'elle allait faire maintenant ? Elle venait de perdre la source de son bonheur. Quand elle était avec lui, les questions arrêtaient de l'assaillir, et elle était réellement présente. Elle partageait pour de vrai ces instants magnifiques avec lui, elle n'était plus cette spectatrice passive. Tout ça par sa faute. Ewan la haïssait maintenant. Elle avait fait tourner l'amour en haine. Sa faute.

Un beau jour, allongée dans son bain, elle pleurait doucement. Elle chantait. Puis, elle prit la lame de rasoir. Elle ne voulait plus de ce monde sans amour. C'était la seule belle chose que les hommes avaient construit. Et qu'ils s'efforçaient de détruire.



Muzicons.com
« that look in your eyes is so familiar »
Évoluer.
Il n'y avait plus que ça que Leo demandait. Si elle avait pu changer de peau, la jeune femme l'aurait fait. Elle aurait coupé et décoloré ses cheveux si elle avait eu le courage. Elle n'aurait jamais pu couper cette tignasse brune que son père aimait tant. Elle ne se rappelait pas de son visage mais se souvenait de sa grosse main sur sa petite tête brune, le temps qu'il passait à les coiffer comme une maman l'aurait fait. Son enfance était tellement floue. Elle vivait avec son père, durant sa petite enfance, elle en était persuadée désormais. Mais pourquoi était-elle retournée chez sa mère, ensuite ? Que s'était-il passé ?
Leo évitait d'y penser, maintenant. Elle voulait faire un trait sur cette mère si distante, sur ce père inconnu et manquant. Elle voulait devenir une adulte et pouvoir mener sa vie d'une main de fer. Elle ne voulait plus se laisser aller à cette dérive adolescente. Désormais, elle ne serait plus malheureuse. Elle ne penserait plus à rien, à part au futur. Mais parfois, un évènement insignifiant se produisait et la faisait doutait. Un souvenir resurgissait et lui rappelait qu'elle ne pouvait pas commencer une nouvelle vie sans avoir terminé l'ancienne. Il aurait fallu qu'elle mette de l'ordre dans ses affaires et qu'elle règle pour une dernière fois ces soucis qui la hantait. Premièrement, la résolution du problème paternel. Un père disparu dans la nature, mais bien vivant. Leo avait bien retrouvé une trace d'un Charles Frobisher sur le site internet de la mairie d'un petit village de l'Ohio. Il y était précisé qu'il était adjoint. En voyant sa photo, Leo avait été intimement persuadée que c'était lui. Il avait pourtant des cheveux blancs et un visage fatigué. Mais la jeune femme avait eu une sorte de pressentiment. Cependant, elle avait peur que le fait de vouloir revoir son père ne la fasse voir que ce qu'elle avait envie de voir. Et que cet homme n'était peut-être qu'un Charles Frobisher parmi tant d'autres. Mais Leo savait, était intimement persuadée que son père était vivant. Elle voulait le revoir. C'était en partie pour cette raison qu'elle avait accepté ce programme d'échange Angleterre/États-Unis et qu'elle étudiait maintenant en Ohio. Elle devait bien avouer qu'elle détestait franchement ce pays étrange, aux moeurs bizarres. Enfin, ici, elle avait la paix et tout le monde ignorait tout de son passé. Presque tout le monde. Elle pouvait espérer gagner un peu de tranquillité pour se retrouver, ou plutôt, se trouver. Leo voulait faire le point sur elle-même. Elle recommençait sa vie ici —même si elle restait le fidèle sujet de sa Majesté.
Et deuxièmement, Leo voulait mettre un peu d'ordre dans sa vie sentimentale. C'était un beau bordel depuis quelques années. Au fond, aucun des garçons qu'elle n'a fréquenté n'était comme Ewan. Il ne laissait aucune empreinte. Il venait, ils s'aimaient un peu, il repartait. Ils disaient tous que Leo ne les aimait pas. Pourtant, elle s'appliquait. Elle s'imaginait être avec Ewan et ça lui faisait du bien. Elle était heureuse, et dans les bras d'un autre, elle croyait sentir l'odeur chaude de son premier amour. Elle rouvrait les yeux et ne trouvait là qu'un inconnu, qu'elle n'aimait pas. Elle était triste, et en colère. Les garçons ne comprenaient pas. Leo avait cessé de sortir avec des garçons à son arrivée ici. Elle n'avait pas eu de copain depuis deux ans, elle qui avait un succès fou en Angleterre. Leo avait tellement trompé Ewan, elle refusait de le faire encore, même s'ils n'étaient plus ensemble. Elle l'aimait toujours et elle ne savait pas pourquoi. Peut-être parce qu'il était un peu son seul repère, la personne pour qui elle aurait réellement tout donner, le seul pour qui elle était vraiment présente. Avec lui, elle brisait le mur, elle existait. Cette sensation d'être vivante lui manquait. Était-ce égoïste de ne vouloir être avec une personne uniquement pour notre ressenti ? Leo supposait que c'était ça, l'amour. Aimer une personne parce qu'elle nous faisait nous sentir différents. On se sentait meilleurs. Importants.

Être importante pour quelqu'un. Leo l'avait été pour Ewan. Et maintenant elle ne l'était plus. Elle se sentait invisible. D'une part, cette invisibilité aux yeux du monde la rassurait, la protégeait. Elle avait tellement souffert du jugement des autres, des critiques. Son acte avait été jugé par la plupart immature et égoïste. N'avait-elle pas pensée à sa pauvre mère, cette imbécile ? Personne n'y avait vu là un appel au secours, une marque d'un mal-être certain. On la prenait pour "celle qui voulait se faire remarquer" ou pour la détraquée de service. Sa mère, fidèle à elle-même, était restée dans l'incompréhension. Des cris, voilà ce qu'elle avait fait. « Tu es jeune, tu regretteras, sois en certaine ! Tu te diras, oh, que j'ai été sotte. On ne se suicide pas quand on a dix-sept ans, voilà tout ! » Leo s'était sentie encore pire après cela et lorgnait souvent la boîte de somnifères. "Si j'avalais tout le paquet…" se disait-elle. Mais sa mère la surveillait néanmoins de près. Leo n'était pas retournée au lycée avant un mois et passait son temps à l'hôpital. On craignait qu'elle ne fasse une infection, on voulait qu'elle reprenne du poids. Puis, de retour au lycée, elle s'était sentie plus seule que jamais. Des gens qu'elle pensait être ses amis l'avaient délaissée. Ewan lui jetait des regards gênés, conscient d'être une des raisons de cette tentative. Mais il ne revint pas, et Leo comprit cela. Elle n'était plus qu'un débris à cette époque. Elle-même se considérait comme une victime, une épave que l'océan de la vie avait rejeté sur la côte.

Elle avait lentement remonté la pente. Et puis, au final, Leo avait décidé de se reprendre en main. Et de partir, loin, loin de tous ces soucis. Elle voulait s'éloigner des autres et se plaisait dans cette nouvelle solitude que lui offrait la maison Lambda. Leo portait en permanence tout un tas de bracelet à son bras gauche pour cacher sa profonde cicatrice, mais elle se doutait bien que beaucoup savait de quoi il en retournait. Quelques autres élèves de son ancien lycée avait suivi le même programme d'échange qu'elle et avait sûrement parler de son histoire. En attendant, ici, on lui fichait la paix. On se disait : "Elle n'a pas l'air si folle ou si malheureuse, cette fille. Tiens, elle sourit même. Elle est mignonne. Elle ne fait pas d'histoires, ici, laissons la en paix". Et c'était parfait. Tout allait bien, jusqu'à ce que son regard se pose sur quelqu'un qu'elle ne s'attendait pas à voir ici, quelqu'un provenant d'une ancienne vie, une personne presque oubliée mais instantanément remémorée. Un amour qu'elle aurait voulu oublier.
Ewan.