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Oz cligne des yeux une fois. Deux fois. Lentement, il relit les quelques mots imprimés sur le tract qu'un parfait inconnu vient de lui fourrer dans les mains avant de s'éloigner, son paquet diminuant à chaque passant. Quelque part des années en arrière, un enfant-magicien brandit une réplique fidèle et miniature, à l'ilage de son propriétaire, de l'USS Enterprise. Il rit doucement, murmurant dans le vent live long and prosper. Ses pas effleurent le bitume gris de Colombus, ses doigts refusant de lâcher prise du papier cartonné qui véhicule des mots-souvenirs, des odeurs de caramel brulé et de pop-corn salé. Oz voudrait voir cet univers qu'il partageait avec son père. Faire revivre le grand homme dans les minutes qui défilent sur l'écran, dans les aventures qui ne meurent jamais et les héros qui n'ont jamais échoué.
Dans le fond de sa poche, son portable reste silencieux, et l'adolescent en esquisse un sourire à peine contrit. La sorcière de conte de fée, la mégère stéréotypée, sa tutrice légale depuis la mort de ses parents, se moque bien d'où le petit garçon dans un corps trop grand passe ses journées. Oz sait qu'elle n'aime pas Clyde, quand bien même elle ne l'a vu qu'une fois dans la rue, mais une bande de voyou est sans doute préférable au trou de son compte en banque si l'enfant n'était plus son poids, son fardeau, sa croix. Oz frémit tout seul dans le métro, chassant les sermons religieux et écrasant qu'il connait par coeur. Oz s'enfuira un jour, ses jambes se mettront en marche et ne s'arrêteront plus, ses poumons hurleront grâce, et le monde ne sera plus qu'une vague silhouette avant qu'il ne s'écroule. Oz aimerait bien marcher dans l'espace.
Shit. Il recommence à rêver les yeux ouverts, aspirations de jeune enfant. Oz est un petit miracle, de ne pas s'être fait renverser des centaines de fois. Oz ne fait jamais attention, un jour il se retrouvera dans une zone qu'il ne connait pas, dans une situation qu'il ne comprends pas. Un jour Oz aura besoin d'être adulte et cohérent. Mais pas maintenant.
Maintenant, il glisse ses doigts frêles dans la poche de son manteau et prend l'affichette en photo, hésitant un instant, la peine de la solitude lui rongeant délicatement le bout des orteils. Il finit par appuyer sur envoyer, priant pour qu'Hendrix comprenne, et qu'un peu de ce temps moins turbulent, moins désolant, se dessine en silhouette familière sur les marches du musée.

Beep, fais ton téléphone sur ta table de nuit. Tu fronces un peu les sourcils, ayant toujours détesté, par le passé, ce gadget qui t'étais inutile. T'avais quatre contacts sur ton téléphone, celui d'avant, celui de l'autre côté de l'océan. Maison, Grand-Mère, Docteur et le service à la clientèle du fournisseur. De quoi te donner mal au coeur. Tu l'oubliais souvent sous ton lit, l'abandonnant sans batterie, sachant que ça ne changerait pas grand chose. Mais maintenant, c'est différent. Quelques camarades de classe, deux potes et demi ainsi qu'assez d'espoir pour te forcer à le brancher de temps en temps.

Tu lis deux petites lettres, une ronde qui se fracasse contre l'autre pointue, te faisant sourire comme un gamin. La photo s'affiche et t'enfile tes chaussures sans te poser de questions. Ta main agrippe machinalement ton jacket, vieille habitude de ta froide patrie.

Tes pieds glissent sur le sol, toi qui les a si souvent trainés contre leur gré. Ils te portent vers Oz avec qui tout est si facile. T'as pas à te forcer pour lui parler, pour te confier. Il ne ris jamais quand t'avoue aimer quelque chose d'étrange ou de ridicule. Oz, il comprends, sans le mettre en mots, tu le vois dans ses yeux, tu l'entends dans ses silences. Cette petite photo sur ton téléphone, c'est un signe en néons disant qu'il te connait vraiment, lui, ami du bout du monde, que t'aurais pu passer dans la rue sans jamais avoir le courage de lui parler. Ton inconscient remercie Clyde au passage.

Oz se tient sur les marches, si proche que t'as envie de le surprendre. Sauf qu'Oz se retourne, comme s'il sentait ta présence. Ça te laisse un peu béat, un peu stupide, avec l'envie de lui dire que tu l'aimes, que t'as jamais eu d'ami comme lui, sauf que tu te tais et que tu lui ébouriffe un peu les cheveux, affectueusement. Hendrix, tu ne touches jamais les gens, sauf ceux que t'as apprivoisés. « J'avais justement besoin d'un break de mes livres. » Que tu lui dis, en sautillant vers les grandes portes. T'en tire une, la tenant ouverte pour ton ami. D'une petite révérence, tu lui fais signe d'entrer. « Après vous, sir. » Dis-tu de ta voix la plus british.

Oz trépigne en silence sur les marches du musée, usant ses poumons à la nicotine d’une cigarette mal roulée, le cœur emballé par l’excitation enfantine des vieux relents de souvenir, échappés d’une malle des souvenirs pleine de poussière de temps. Oz sourit tendrement à ces éclats étranges de l’époque innocente, les lumières éblouissantes de Noël, les friandises d’Halloween. Halloween. Les doigts multicolores, le visage barbouillé, les masques de terreur qui dissimule les blessures en les exposant si violemment. Les squelettes qui dansent pour éloigner la mort, les monstres qui grognent contre les salauds, Oz rit dans le noir. Le magicien amoureux des ténèbres. L’adolescent impatient de se fondre dans le néant.

Une présence, familière, une odeur, rassurante. Oz sourit tendrement à Hendrix, comme à un vieil ami, un compagnon toujours présent sur une route douloureuse à fréquenter. Le petit anglais n’existe dans son univers que depuis quelques milliers de battements de cœur qui ressemblent pourtant à la longue étendue d’une vie. Oz pense parfois qu’une autre existence les a déjà liés, que c’est leur petit destin. Oz se plie avec délice à la caresse des doigts fins dans sa tignasse impossible, s’offrant docilement. « J’avais justement besoin d’un break de mes livres. ». Il hoche la tête avec ce sourire voilé, celui qui comprends, celui qui veut dire viens, on s’échappe, on refait le monde avec une nouvelle palette, avec des mots rien qu’à nous, avec nos silences éblouissants. Mais Hendrix, il est déjà plus à ses côtés, fumée sous les doigts. Un léger rire sur les traits de l’enfant de la bande, le gamin qui ne grandira jamais, coincé dans une cage de Peter Pan qu’il entretient délicatement. « Après vous, sir. »  Sa tête se renverse alors que son rire éclate en morceaux de bonheur, colorés, arc-en-ciel. Et l’impatience explose dans chaque atome. Ses doigts fins se referment sur le poignet habillé de cuir de son petit anglais d’ami pour l’entrainer dans une course aveugle, émerveillée. Oz veut tout voir, tout absorber, se remplir d’une légère folie joyeuse. Sans lâcher sa prise légère sur Hendrix, il bat des cils, enregistrant les informations, les affiches qui dévorent les murs, les sons et les odeurs dignes d’un aperçu de paradis pour gosses. Il jette un regard en coin à son compagnon, cherchant à lire sur son visage la même douce euphorie, le même regain de vie qui s’infiltre dans les veines, pétillant comme du soda sous la langue. « J’aurai voulu être Jim Kirk. » Ses yeux s’arrondissent un peu, surpris de sa propre révélation. Oz ne parle pas souvent de ce qui touche à son enfance, à l’existence d’un Oz miniature avec des rêves en miniatures. De peur de réveiller des fantômes d’amour à l’affection trop aiguisés pour une carcasse mutilée. Une crevure au fond des yeux, Oz détourne la tête, refusant malgré son attachement à la bouille d’amour à ses côtés de partager des souvenirs aux accents épicés.

« Venez voir les garçons, je suis sur que ça va vous plaire : une reconstitution grandeur nature de la bataille d’Endor ! »
Au grand soulagement d’un Oz brusquement glacé de l’intérieur, se maudissant de ne pas savoir réagir à ses propres aveux, un homme en accoutrement poilu se précipite à leur rencontre, tentant de les entrainer vers un stand aux allures de Bat Cave, ses dents blanches découvertes sur un sourire candide. L’inconnu s’exprime avec une familiarité amicale qui dérange Oz, mais le jeune garçon ne dit rien, poussant doucement Hendrix vers le stand, intrigué malgré tout par les paroles enthousiastes. Son menton passé par dessus l’épaule de son ami, il grogne tout bas. « Mec, t’y connais quelque chose à Star Wars toi ? » Il rencontre les prunelles d’Hendrix, douces, et la tempête d’angoisse derrière son air évasif s’apaise aussitôt. Comme si tu pouvais fuir toute ta vie Oz.