Hendrix est accoté contre le support à bicyclettes, faisant genre j'attends quelqu'un, je suis pas là pour socialiser. Il n'a aucune idée de comment aborder ces gens, cette foule, ces étudiants aux allégeances grecques qui portent les couleurs d'une université un peu trop grande pour ses petits souliers. Il a posé un jacket sur sa chemise à carreaux, vieille habitude de son enfance dans les pluies d'un autre continent. Qui aurait cru que sa vie aurait pris ce tournant, cette virée, cette débarque. Juste de quoi trainer un peu moins ses semelles, se promener les épaules moins basses.

Avant même que Clyde ne fasse un pas pour traverser le parking, Hendrix se retourne. Ses yeux suivent les passants qui s'écartent pour le laisser passer, victimes d'une sélection naturelle. Clyde donne l'impression de pouvoir toucher le ciel, de pouvoir briser les règles sans que les conséquences ne s'appliquent à sa personne. Hendrix se lève pour le rejoindre, ayant laissé ses livres dans un ailleurs où Clyde n'existe pas.

« How you doing, mate ? » Lance Hendrix, incapable de se défaire de son jargon natal. Les cours semblent tous terminés, Hendrix ne croyant pas vraiment que son ami soit sur le campus pour cette raison, assez réaliste pour savoir que ça n'est pas sa priorité. Il sourit comme un con, cabot errant qui attendait son maître.

à travers les allées tu marches, inlassablement, tu traces ta route, les yeux rivés droit devant toi. la musique dans tes oreilles, techno sombre et bruyante, rythme tes pas, et quand la cadence se fait de plus en plus rapide, tu accélères, comme un pantin guidé par sa propre voix. tu es suivi, c'est le soleil derrière toi qui tape sur ta peau, traverse tes vêtements pour venir un peu plus près de ton corps. l'air lui, est chaud, tu étoufferais presque sous ta vieille chemise. tu arrives à destination et te frayes un chemin parmi les passants, remarquant alors du premier coup d’œil ton pote Hendrix, le petit anglais fraîchement débarqué de son Londres natal. poignée de main, grands sourires. il se doute que tu as quelque chose dans la tête. on bouge derrière le campus ?

Les autres sont des insectes parce que Clyde te parles à toi, pas à eux. Ils disparaissent dans le sol, dans les tunnels, dans leurs terriers. Tu penses que le soleil brille plus fort, plus éclatant, peut-être parce que tu le regarde à travers la tignasse de ton ami, petite auréole dorée qui ne fait pas de lui un ange. Tu pourrais croire que c'est le matin, tellement t'étais endormi avant qu'il ne te redonne vie, d'une poignée de main.

Il demande et t'hoches la tête, le suivant sans penser, sans demander. C'est comme ça entre vous, toi, Hendrix, tu regardes et t'apprends, tu le laisse cocher une à une tes premières fois, sachant que s'il est là, ça sera mémorable, ça sera du tonnerre. Il t'électrise cet américain survolté, de l'intérieur, de l'extérieur, parfois même en silence, mais jamais bien longtemps.

Tu vois le mur de brique et tu peux t'imaginer Clyde s'y accoter pour fumer une clope, te disant qu'il aurait qu'à se repousser les cheveux vers l'arrière pour avoir un terrible air de James Dean. T'attends ton capitaine, ton caporal, ton pote même si des fois t'as du mal à y croire. Il est grand, Clyde, trop grand pour ces murailles, ces grilles et ces chaînes. On nous enchaîne tous à la naissance avec ces attentes, ces conventions, ces montagnes de bullshit qui donnent l'impression d'avoir à rentrer dans un moule, mais pas Clyde, oh non pas lui. Tu crois qu'il est au dessus de tout ça, tu le jurerais.

Alors, c'est maintenant qu'on vit ?

tu allumes ta cigarette d'un geste rapide et effacé. la fumée épaisse danse autour de vos corps et vous entoure de sa volupté. tu t'es toujours demandé pourquoi la fumée, après son voyage dans l'air, ne retournait pas dans la cigarette. comme si on ne pouvait pas retourner en arrière, comme si on devait toujours faire le bon choix. comme s'il fallait toujours qu'on aie à choisir. comme si la vie nous permettait d'avoir le choix.
Hendrix te suit, là, à tes côtés. tu l'aimes bien Hendrix, dès le début t'as senti qu'il était pas vraiment comme les autres. alors vous l'aviez pris sous vos ailes, toi et ta meute de loups sauvages. mais il était encore un peu sage, Hendrix. trop sage pour ce monde indomptable.
derrière le campus, l'endroit. votre endroit, espace reclus de la vie universitaire. quelques bancs, un arbre, de quoi s'abriter. les autres étaient déjà là, chacun avait emmené des amis et déjà, une bonne dizaine de personnes vous attendaient. bières jonchés sur le sol, joints à demi-allumés, musique à peine audible dans ce brouhaha de voix entremêlées. tu veux boire un truc? que tu lui dis, canette à la main.

Les crissements des voix font éclater ta bulle. Ça te jettes hors de ton élément. Tu vois qu'ils s'amusent d'une façon que t'as jamais vraiment apprise. D'un côté, ça te fous la trouille comme jamais, de l'autre, tu les envie de savoir être libre comme des hirondelles. T'en vois planer quelques uns, t'en vois d'autres couler les uns contre les autres. Tu te dis que t'aimerais ça, que tes coudes se collent aux leurs sans que ça te fasse peur. Les sons se décuplent au rythme de vos pas. Clyde est là, ça ira.

Il fait partie de ce monde, Clyde. Il a créé cet univers. Tu trouves ça beau.

Ton maître te propose à boire et tu dis oui. T'es assoiffé. Assoiffé de la vie, assoiffé de cette présence humaine que t'as si bien appris à fuir. T'est déshydraté de cette folie qui les anime, de cette énergie qui les fait vibrer. Alors tu bois sans goûter, sans te demander pourquoi. Tu veux rejoindre cet état qui fait vaciller.

« Ma canette est vide » Tu dis tout haut, alors que t'as fait que le penser. Tu regardes Clyde, un peu perdu, te rattachant à ses yeux qui cessent d'être froids quand il les pose sur toi. Il t'a adopté, tu voudrais lui en lécher les mains, comme un cabot, comme un chien.

Hendrix engloutit sa boisson et en redemande, assoiffé d'ivresse, assoiffé de vie. tu lui montres le tas de bouteilles jonché sur la table. sers-toi, ici t'es chez toi ! tu lui lances un grand sourire, signe d'amitié et de confiance. tu veux qu'il se sente à l'aise, Hendrix, tu veux pas qu'il soit à l'écart. comme si c'était ton petit protégé, comme s'il dépendait de toi. tu regardes les autres autour et la soirée bat son plein. tu t'assois et te sert un verre en le regardant boire. comment c'était, à Londres ?

Les gens pourraient avoir des oreilles d'ânes, des plumes d'autruches et des doigts palmés que ça ne te ferais pas lâcher Clyde du regard. Il est magnétique et tu gobes du fer depuis gamin, trop ennuyé de ne pas savoir socialiser. Il te dis comment faire, où remplir ta main vide. Ce qui t'étonnes le plus, c'est qu'il te juges pas. Les étrangers t'ont toujours regardé avec un drôle d'air, l'air de dire mais qui c'est, lui, qu'est-ce qu'il fout ici, te faisant sentir pas à ta place.

Clyde te demande et tu réponds, parce que tout ce que tu veux, c'est qu'il soit ton ami. C'est pas compliqué, tu veux, sans jamais te l'être avoué, que quelqu'un t'apprécie, t'accepte. Un personne c'est bien assez, mais voilà, il a pas compté, il a aussi partagé ses amis, ceux que t'avais jamais eu avant. « C'était froid, gris. Les écoles ressemblent à des châteaux, pas comme ici, où ça semble tout droit sorti d'un film pour adolescents. » T'hausses les épaules parce qu'il n'y a pas grand chose à dire sur cette vie là. T'étais personne, toujours foutu dans ton garde-robe, petit musée, ode aux animaux décédés. T'aurais voulu connaître les dinosaures, en trouver les restes. Toi, Hendrix, t'aimes les animaux, morts ou vivants. Ça fait peur aux gens, parfois. La bière dans ta main est plus légère, t'as bu par habitude, pour faire quelque chose de tes mains. Un sourire au coin de la gueule, tu te permets de demander à ton pote quelque chose d'important, parce que tu lui fais confiance, au final. « Clyde ? ... Tu penses quoi des dinosaures ? »

il te répond avec nonchalance, et alors tu comprends que sa vie d'avant était complètement différente. triste et vide, dénuée d'éclat. tu sais pas c'que c'est toi, parce que t'as toujours été ici, dans ce même pays, alors la vie ailleurs, tu connais pas. et parfois t'aimerais bien voir ce qu'il y a au-delà de ces frontières. j'aimerais bien les voir moi, ces châteaux. tu lui glisses un sourire en coin avant de t'allumer un joint. tu montes le son qui émane des enceintes portables. et Hendrix il te pose une question bizarre, un truc à propos des dinosaures. tu hausses un sourcil. t'es déjà bourré?

Les nuages font de drôles de formes, t'y vois un ptérodactyle, mais tu réalise seulement que ce ne sont pas des nuages. Il y a une brume de cigarette qui vous entoure, tes narines te font signe que ce ne sont pas que des cigarettes qui se sont allumées autour de toi. Clyde te dit quelque chose à propos des châteaux. Tu te dis seulement qu'il est un roi, que tu le verrais bien sur un trône habillé de brocard et de fourrure. Mais pas de la vraie fourrure, t'aimes beaucoup trop les animaux pour ça. Tiens, ta bière est encore vide. Et si elle était trouée ? T'as la décence de pas te pencher pour regarder. Tu fais comme si c'était rien et t'en ramasse une autre. Faut t'occuper les mains, les gens ça te rends nerveux et tu sais plus où regarder.

Ton maître te demande, et tu hausse un peu les épaules, parce que tu sais pas, parce que tu t'es jamais rendu là. « Pas encore, je crois. » Que tu lui réponds, te promettant de ne plus l'embêter avec tes histoires de dinosaures. Ce que les gens ne savent pas c'est qu'il y avait au moins autant d'espèces de dinosaures marins que terrestres, probablement même plus, reconsidérant qu'il est impossible d'aller explorer les profondeurs des océans. « Tu connais tous ces gens ? » Que demande ta voix à Clyde. Ça t'impressionne, cette façon qu'il a d'être entouré, comme si les gens tournaient autour de lui, inconscients de son magnétisme, de son attraction.

une fumée épaisse et dense sort délicatement de ta bouche et s'envole dans les airs, embaumant l'espace de son parfum enivrant. ça vient en toi, tu sens la chaleur qui monte dans tes veines petit à petit, au fur et à mesure que les gorgées d'alcool coulent dans ta gorge. tu fais tourner la cigarette magique à ton camarade. t'as déjà goûté ?
les gens autour sont occuper à s'enivrer, danser, s'embrasser, se fondre dans les bras les uns les autres, et parfois, ils jettent des coups d’œil vers vous. non pas tous. enfin, de vue seulement.