CAELAN SOLHEIM ▲ « Bonjour, je viens suite à votre annonce pour la colocation, je serais éventuellement intéressée, j'ai besoin d'un logement dès la semaine prochaine. » Le jeune homme me contemple de haut en bas et je déteste ça. Je le giflerais bien mais j'ai besoin de cet appart'. Il s'écarte et me laisse entrer, hochant la tête. « Je t'en prie, visite. » Quinze minutes plus tard, nous sommes assis dans son salon – qui va devenir également le mien – à boire un verre qu'il m'a proposé. « Pourquoi chercher une colocation ? » Il sourit, tirant sur sa cigarette; moi j'observe la fumée qui sort d'entre ses lèvres. « Je déteste la solitude. » me donne-t-il comme simple excuse. Il se penche vers moi, me fixant droit dans les yeux. Je le déteste déjà. « T'es vraiment sûre que tu vas me supporter ? J'suis pas facile à vivre comme type. » C'est le moins qu'on puisse dire, en fait. C'est même presque un euphémisme. Je me penche à mon tour. Il a un truc dans le regard qui m'interpelle. Qui me trouble, un peu. « Ça tombe bien, je déteste la facilité. »

« Tu fais chier, voilà ce que j'en dis moi ! » Je râle, je lui crie dessus. Il a perdu les clés, cette enflure ! Il compose le numéro d'un serrurier en m'envoyant gentiment un beau doigt d'honneur. Je lui envoie le double. Il m'insupporte. Notre relation est toujours comme ça. On ne se supporte pas. Pas du tout. Dès qu'un de nous deux ouvre la bouche, c'est la guerre. À qui sera le plus vicieux, le plus cynique, le plus blessant, même. C'est un jeu. Un jeu qu'on ne veut pourtant pas perdre parce qu'on s'y est accommodé. « Bon, il arrive. » me dit-il. Je m'approche de lui et lui donne un sale coup sur l'épaule. « Tu fais chier, chaton, t'es pas fichu d'être clean pour une fois, fallait que tu rentres complètement stone et que tu jettes les clés par-dessus le pont, mais qu'est-ce que tu peux être con parfois ! » Ma voix s'est encore élevée. Il déteste que je l'appelle "chaton", et je le sais parfaitement, c'est pourquoi je prends un malin plaisir à l'appeler comme ça tout le temps en fait. « Bon tu la fermes ok ?! Pas besoin de gueuler, ça n'arrangera rien ! » - « Ouais c'est sûr, t'es un cas perdu ! » Je le vois serrer les dents. Un jour je risque de m'en manger une, peut-être. Mais je prends le risque. Il est tellement imprévisible. J'ai bien saisi qu'il avait un problème. Bien saisi qu'à la base, il n'est pas sous traitement pour rien. Qu'il doit être hyperactif, ou j'en sais rien. Mais il change d'humeur en deux secondes. Je l'ai déjà vu pleurer puis se mettre en colère l'instant d'après, pour s'excuser honteusement encore une seconde plus tard. C'est usant. Pourtant, j'peux juste pas me passer de lui, et je préfère qu'il me déteste plutôt que je l'indiffère.

« Allez, à ton tour Cael. »
Nous sommes à une soirée. Ça fait trois mois qu'on est en coloc', rien n'a changé, rien n'évolue, je le déteste de tout mon être et lui aussi. Là, on est pourtant allé à une soirée organisée par des potes en commun, ensemble. Ben ouais, même si on joue au chien et au chat, on s'trimballe souvent ensemble. Là, on joue à un jeu stupide. La bouteille, comme des collégiens. Bien sûr, quand mon cher et adorable colocataire la fait tourner, ça tombe sur moi. Je pousse un soupir absolument pas discret mais c'est fait exprès. J'ai absolument aucune envie de l'embrasser. J'ai bu, lui aussi, mais ma haine reste la même. En fait, je le déteste pour plein de chose. Et encore plus sa façon de ramener des filles inconnues tous les soirs à l'appart', bien que je ne me gêne pas pour faire de même de mon côté, en guise de vengeance. « Allez, approche poupée. » Je serre les dents, il me fixe et je m'approche alors, posant mes lèvres sur les siennes. Et c'est l'explosion. Dans le jeu, on aurait dû juste s'embrasser comme ça, presque avec innocence, juste deux paires de lèvres qui se frôlent pendant une seconde. Mais je ne peux pas m'empêcher d'en vouloir encore. Il prolonge le baiser avec fièvre, et quand sa main glisse dans ma nuque, je m'accroche à son visage. J'entends les voix de nos potes qui nous disent que c'est bon, que ça suffira pour le jeu. Mais il ne s'arrête pas, il introduit sa langue dans ma bouche. Et je le déteste aussi pour ça. Pour l'effet que ça me fait. Au bout de deux bonnes minutes, éméchés, on s'arrête. Je le dévisage sans comprendre. Sans comprendre pourquoi ça n'est pas arrivé avant et en même temps, pourquoi c'est arrivé tout court. Tout le reste de la soirée, je l'éviterai. Lui aussi. Mais comme on crèche au même endroit ... c'est bien dur de vous mentir et de vous dire qu'on n'aurait pas passé la nuit ensemble.

« Aenor ! T'es vraiment trop blonde sérieux, sors de là allez ! Rends-moi ça ! » Et pour autant, rien a changé. Trois mois que notre premier baiser s'est passé, mais la haine est toujours là parce que c'est bien plus simple. « Non ! T'as pas besoin de cette merde. » Je me suis enfermée dans les toilettes avec une boîte de ses médicaments. Ces précieux comprimés qu'il prend à tout va, comme un drogué. Je sais qu'il ne va pas apprécier. Qu'il devient fou lorsqu'il en manque. Quelque part, j'veux l'aider à sortir de ça. Je sais qu'il présente à tout le monde une image qui n'est pas vraiment lui. Mais moi, je vis avec lui et je sais qu'il n'est pas ce type-là. Qu'il a un grave soucis de dépendance aux anxiolytiques et ces autres conneries. Il défonce la porte et j'étouffe un cri. Je jette ses réserves dans les toilettes et tire la chasse, lui lançant un regard plein de défi. Au lieu de me frapper ou quoi que ce soit d'autre, il m'embrasse avec fougue, glissant ses mains sous mon haut. Et voilà que ça recommence. Nos problèmes se règlent comme ça. Pourtant parfois, c'est très doux vous savez. Souvent quand on a bu tous les deux. Ça peut être doux et tendre, mais dès qu'on sort de cette bulle, on ne se supporte toujours plus. Et dès qu'on ouvre la bouche et qu'on recommence à se bouffer l'un et l'autre, on règle ça au pieu. Ça passe mieux. C'est plus simple. Et ça nous permet d'assouvir notre désir dévastateur l'un pour l'autre.

« C'est qui ce type ? » Je lui lance un regard narquois. Depuis quelques semaines, c'est notre nouveau jeu. Rendre l'autre jaloux. « Qu'importe ? » Il me plaque contre le mur et je lui souris, ce qui l'agace deux fois plus. « C'est qui ?! » répète-t-il. Il frappe le mur derrière-moi mais je ne cille pas. Un jour, je crois que c'est moi qu'il frappera, parce qu'il ne se contrôle pas. « Un type qui est bien meilleur que toi au lit. » C'est faux, mais ça il n'est pas obligé de le savoir. Il me serre contre le mur et contre son corps. Il m'embrasse alors, et me relâche, avant de quitter la boîte. Je crois que ça lui fait mal, parfois. À moi aussi. Mais on n'peut pas changer ça. J'aurais bien trop peur de tout gâcher. J'sais pas si on est vraiment capables d'être autre chose. On se déteste tellement. Enfin, je n'sais plus vraiment si c'est de la haine ou autre chose. Mais en attendant, on continue notre petit jeu. Se rendre fou de jalousie l'un et l'autre, se pousser à bout, régler nos conflits dans un lit. J'sais pas où ça me mènera, où ça nous mènera tous les deux. Mais qui peut savoir, hein ? Au fond, j'tiens bien trop à lui pour quitter l'appartement. Pour sortir de sa vie tout court, ou pour le faire sortir de la mienne.